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La tranquillité d’esprit pourrait bien avoir un prix : la Cour d’appel du Québec autorise une action collective portant sur une garantie prolongée en soutenant que le consommateur est exploité

Auteur(s) : Alexandre Fallon, Josy-Ann Therrien

Le 26 avril 2018

Le 22 mars 2018, la Cour d’appel du Québec a rendu un jugement dans l’affaire Union des consommateurs c. Magasins Best Buy ltée (l’« action contre Best Buy »), annulant ainsi la décision de la Cour supérieure du Québec, qui a refusé une demande d’autorisation d’action collective selon laquelle les garanties prolongées vendues par Best Buy constituent une exploitation du consommateur.

En se fondant sur un jugement de la Cour d’appel dans Fortier c. Meubles Léon ltée (« Fortier »), la Cour supérieure avait conclu que les garanties prolongées donnaient à l’acheteur une tranquillité d’esprit qui ne pouvait pas être quantifiée, de sorte qu’une action fondée sur l’exploitation du consommateur ne pouvait pas être accueillie. La Cour d’appel rejette cette approche et conclut que l’exploitation du consommateur doit être évaluée objectivement : existe-t-il une disproportion entre les obligations respectives des parties et cette disproportion est-elle si marquée qu’elle constitue une exploitation du consommateur?

La Cour clarifie également les droits d’appel à l’encontre des jugements d’autorisation d’action collective à la lumière de l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile, le 1 er janvier 2016, notamment en confirmant que les intimés dans des demandes d’autorisation visant à intenter des actions collectives doivent toujours demander une autorisation d’interjeter appel d’un jugement d’autorisation, même si ledit jugement a été porté en appel de plein droit par le requérant et que l’intimée souhaite formuler un appel incident.

Contexte

En septembre 2006, Jessica Desjardins a acheté un ordinateur et une garantie prolongée chez Best Buy. L’ordinateur ne fonctionne pas. Elle le rapporte chez Best Buy, qui refuse de le réparer sous prétexte qu’il est encore couvert par la garantie du fabricant. Mme Desjardins envoie donc l’ordinateur au fabricant pour le faire réparer à ses propres frais. Elle n’est pas satisfaite des services offerts par Best Buy aux termes de la garantie prolongée achetée. L’action contre Best Buy est déposée en septembre 2007.

À l’époque, près d’une douzaine de demandes d’autorisation visant à instituer une action collective portant sur des garanties prolongées étaient en suspens devant la Cour supérieure du Québec. Dans ces actions collectives projetées, il était soutenu qu’au Québec, les garanties prolongées sont inutiles en raison de l’existence de la garantie légale prévue à l’article 38 de la Loi sur la protection du consommateur (la « LPC »).

Cette disposition prévoit que les détaillants et les fabricants d’un bien vendu à des consommateurs garantissent que ce bien peut « servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien. » Dans les faits, cela signifie que les détaillants et les fabricants doivent honorer une garantie sur un bien vendu au Québec pour une période qui, dans la plupart des cas, dépasse la garantie du fabricant qui s’applique à ce bien.

Il est allégué dans les actions collectives projetées que les détaillants qui vendent des garanties prolongées aux consommateurs en partant du principe que ces garanties permettent aux consommateurs de ne pas avoir à payer de frais de réparation lorsque la garantie du fabricant aura pris fin trompaient les consommateurs parce qu’en vertu de la LPC, ils seraient probablement encore protégés par la garantie légale. En 2010, la LPC a été modifiée de manière à exiger que les détaillants divulguent l’existence de la garantie légale lorsqu’ils vendent des garanties prolongées.  

En 2014, la Cour d’appel a rendu sa décision dans l’arrêt Fortier, statuant sur 9 des actions collectives en instance relatives à des garanties prolongées. L’action contre Best Buy avait été suspendue en prévision de cette décision. La Cour a statué que les détaillants n’étaient pas tenus de divulguer expressément l’existence de la garantie légale lorsqu’ils vendaient une garantie prolongée avant la modification de la LPC en 2010.

Elle a toutefois autorisé des actions collectives à l’encontre des détaillants qui avaient expressément mentionné à des consommateurs que l’achat d’une garantie prolongée leur permettrait d’éviter de payer des réparations à l’expiration de la garantie du fabricant, en faisant valoir qu’il pourrait s’agir de fausses déclarations parce que la garantie légale pourrait également atteindre cet objectif. Enfin, la Cour d’appel a rejeté l’argument selon lequel les garanties prolongées étaient inutiles. Elle a jugé qu’elles offraient de la tranquillité d’esprit aux consommateurs et qu’elles étaient plus simples à faire appliquer que la garantie légale.

En 2015, l’action contre Best Buy a été modifiée à la lumière de l’arrêt Fortier. Dans l’action contre Best Buy, les demandeurs, plutôt que de faire valoir l’inutilité des garanties prolongées, soutiennent que le coût des garanties prolongées équivaut à l’exploitation du consommateur, que l’article 8 de la LPC interdit. En outre, les demandeurs soutiennent que cette disposition permet aux tribunaux d’annuler ces contrats ou de diminuer les obligations du consommateur.

Motifs et conclusions

Le juge de première instance a refusé d’autoriser la réclamation relative à l’exploitation du consommateur. Pour l’essentiel, il a conclu que la tranquillité d’esprit accordée par les garanties prolongées constituait un élément subjectif qui ne pouvait être quantifié, comme le soulignait l’arrêt Fortier. Si la valeur de cet élément clé ne peut être quantifiée, la Cour ne peut conclure que le coût de la garantie prolongée qui est facturé équivaut à de l’exploitation du consommateur.

La Cour d’appel est en désaccord L’article 8 de la LPC prévoit que l’exploitation du consommateur doit être évaluée objectivement – que paie le consommateur, que fournit le marchand en retour et existe-t-il une disproportion entre les deux si grande qu’elle correspond à de l’exploitation du consommateur? Si tel est le cas, le contrat peut être annulé ou les obligations du consommateur peuvent être réduites. Les motifs qui ont amené le consommateur à conclure un contrat, comme la volonté d’obtenir de la tranquillité d’esprit, ne sont pas pertinents dans le cadre de la présente analyse.

En fin de compte, la Cour conclut que l’action contre Best Buy renferme suffisamment d’allégations pour étayer une prétention selon laquelle les coûts facturés pour les garanties prolongées constituent de l’exploitation du consommateur, et autorise l’instruction de la demande dans le cadre de l’action collective.

La Cour autorise en outre une réclamation additionnelle portant sur la pratique de Best Buy de rejeter toute obligation de réparer des biens défectueux pendant que la garantie du fabricant est en vigueur. Selon la Cour, Best Buy est tenue d’honorer la garantie légale de la même façon que le fabricant, et le client peut choisir de s’en remettre au détaillant, au fabricant, ou aux deux.

En stipulant dans les garanties prolongées que les consommateurs doivent s’en remettre exclusivement au fabricant lorsque la garantie de celui-ci est en vigueur, Best Buy peut violer la LPC en proposant une garantie prolongée qui, dans les faits, offre moins de protections que la garantie légale.